En juillet dernier, une délégation de 3 écoles du RECA se rendait en Colombie dans le cadre du BAM (Bogota Audiovisual Market) pour participer à des échanges avec les professionnels andins du secteur de l’animation. Ces rencontres ont très vite débouché sur l’envie de faire travailler ensemble des étudiants des 2 côtés de l’Atlantique. A l’origine de cette initiative, l’attaché audiovisuel à l’Ambassade de France de Bogota, Arnaud Miquel. Rencontre avec ce passionné d’échanges internationaux, de culture et d’animation.
1 ) Quel a été votre parcours avant d’arriver à Bogota ?
Après le bac, j’ai intégré Science Po à Aix en Provence et c’est dans le cadre de ces études que j’ai eu l’opportunité de faire un 1er stage chez Onyx Film, une boîte de production qui faisait à la fois du live, de l’animation et du jeu vidéo. Nous devions aussi effectuer un stage à l’étranger. Pour ma part, je suis allé à l’Institut Français au Chili, dans le service audiovisuel. De retour en France, j’étais convaincu que je voulais travailler dans la production audiovisuelle. J’ai demandé une année de césure à Science Po pour suivre un master en production audiovisuelle de fiction, documentaire, animation et émissions de flux à INA Campus (ex Ina Sup). J’ai choisi de faire mon dernier stage dans une société d’animation, Millimages, qui m’a ensuite embauché comme responsable de projets numériques – et notamment pour la création de jeux vidéo dérivés de séries télé. J’étais aussi chargé de créer tout l’environnement digital du studio sur youtube. Au bout d’un an et demi, j’ai eu de nouveau envie de travailler à l’étranger. Je suis parti comme « volontaire international » en Indonésie, au sein de l’ambassade et de l’Institut Français. A l’époque, l’Indonésie mettait en place des projets de collaboration portant spécifiquement sur l’animation. Je suis rentré en France en 2016 pour travailler quelques temps chez Google, avant de rejoindre, fin 2017, CITIA à Annecy, en tant que responsable des Rencontres Professionnelles et pour accompagner toute la stratégie d’ouverture du Festival d’Annecy à la création immersive. En 2022, j’ai rejoint le réseau diplomatique français pour 2 fois 2 ans à Bogota, avec la mission de faciliter les connexions des 5 pays andins (Bolivie, Colombie, Equateur, Pérou, Vénézuéla) avec la France en matière audiovisuel, principalement le cinéma mais aussi la télévision, la radio, le jeu vidéo et la création immersive. L’animation entre bien évidemment dans le champ de mes compétences.
2) Quel est le rôle des ambassades au niveau culturel ?
Avant tout, il faut rappeler que le réseau diplomatique français est l’un des plus importants du monde. Sans doute le 2ème après celui des États-Unis. Nous avons une ambassade dans quasiment tous les pays du monde, avec des équipes plus ou moins importantes. Le rôle principal d’une ambassade est de représenter son pays dans les autres territoires. Au point de vue politique mais aussi économique et culturel.
La Colombie est l’un des pays où l’équipe dédiée à la coopération culturelle est parmi les plus importante. Une quinzaine de personnes travaille sous l’autorité du conseiller culturel : attaché audiovisuel (poste que j’occupe), attaché musique, attaché linguistique, attaché universitaire et scientifique, attaché culturel… L’équipe comprend aussi des ‘’volontaires internationaux’’ qui ont en charge divers sujets transversaux dont les médias, le féminisme, la société civile, l’écologie… La France a une ‘’vraie’’ diplomatie culturelle, contrairement à la majorité des autres pays. L’objectif est de faire passer à travers son action et ses relations au quotidien des messages de diversité, de structuration, de défense de l’indépendance culturelle.
Plus globalement, nos missions sont la représentation des enjeux et de la stratégie française en matière de culture française à l’étranger. Cela passe par la facilitation des liens entre les pays d’accueil et la France. Dans mon cas, avec ma compétence régionale sur les 5 pays andins, la coopération peut aussi accompagner les échanges de ces pays entre eux.
3) En quoi consiste le projet entre les écoles andines et le RECA ?
Le projet pour lequel je suis entré en contact avec le RECA découle typiquement de ce type d’échanges. L’idée était de définir comment le modèle français pouvait inspirer un modèle andin.
Concrètement, des représentants d’écoles du RECA (ndlr : Fahim Boukhelifa pour LISAA, Richard Nègre pour l’Institut Sainte Geneviève et Alexandre Maubaret pour l’école Emile Cohl) ont été invités à se rendre au BAM, l’un des très importants marchés de Colombie dont l’ambition s’étend à l’Amérique Centrale. Ils ont participé à des échanges avec des représentants d’écoles et d’associations de la région andine. Et expliqué notamment comment, en étant dans un réseau comme le RECA, ils pouvaient être plus forts et mieux défendre leurs intérêts. De ces échanges est née une autre idée : celle de faire travailler ensemble des écoles andines et françaises autour de la création de pastilles vidéo qui seraient diffusées lors de prochains BAM. L’objectif est de mettre en place une coopération pérenne entre les étudiants. 3 autres écoles françaises ont rejoint l’aventure (ECV Paris, Gobelins, Pivaut Nantes) pour travailler avec 6 écoles andines.
Ces 12 écoles vont donc travailler ensemble sur la co-création de petites pastilles vidéo (environ 15’’) représentant la spécificité culturelle de l’un des pays du partenariat. La pré-production se fera dans les pays andins, la production en France. La post-production sera commune. Pour prendre en compte le planning de chacun (en Colombie, l’année scolaire débute en février et s’achève en novembre), la 1ère édition de cette collaboration ne commencera qu’à la rentrée 2025 (février pour les pays andins et septembre pour la France). Les écoles françaises ont néanmoins décidé de commencer à travailler sur le projet en réalisant des pastilles vidéo sur les pays andins.
4) Pourquoi un tel partenariat ?
J’ai malheureusement constaté que le secteur du cinéma dans les pays andins était en grande difficulté depuis la pandémie de 2019. La fréquentation des salles reste en-dessous de ses précédents niveaux. C’est un vrai sujet car ici, comme en France, les soutiens au secteur sont en partie basés sur les entrées. Il y a également des enjeux d’éducation à l’image qui pour l’instant n’est pas suffisamment structurée. Et bien sûr des enjeux concernant l’accompagnement du secteur de l’animation dans ces pays. C’est pourquoi le projet baptisé du nom de code « autre regard » est né, autour de 3 axes : des nouvelles histoires, des nouveaux talents et des nouvelles audiences. Notre proposition est de connecter les enjeux de cinéma avec des nouveaux publics. Et notamment au travers du cinéma d’animation.
L’un de nos projets vise à former à l’animation, et plus généralement à l’illustration, des jeunes déscolarisés, dans des villes de taille moyenne, pour leur donner une 1ère opportunité d’insertion professionnelle dans le domaine culturel. Nous accompagnons les universités locales dans leurs réflexions sur la structuration de leur programme d’animation et sur leurs relations avec le secteur industriel pour faciliter l’insertion des jeunes. Le lien se fait également par la promotion des études d’animation en France, en proposant par exemple aux jeunes colombiens de suivre une formation complémentaire dans des écoles françaises. La collaboration avec le RECA est née de cette dernière idée. L’exemple du RECA est par ailleurs inspirant pour des pays en voie de structuration. La collaboration entre étudiants permet aussi de sensibiliser des jeunes français au contexte andin… et inversement !
5) Quelle est la situation de l’animation dans les pays andins ?
Il y a, de façon générale, de grandes différences économiques entre les 5 pays andins. Et cela est encore plus marqué en matière d’animation. La Colombie est à la fois le pays et le marché le plus développé dans le secteur audiovisuel. Il a depuis de nombreuses années une loi qui prévoit des financements pour le cinéma, des moyens pour la diffusion, des appuis aux festivals… En animation, la Colombie a déjà plusieurs longs métrages d’animation à son compteur. Elle produit en moyenne entre 1 et 2 films par an. Souvent en coproduction, soit avec les pays voisins, soit avec des pays plus lointains. Virus Tropical, par exemple, du réalisateur colombien Santiago Caicedo de Roux, a été coproduit avec la France. Le Pérou produit environ 1 long métrage d’animation par an. La Bolivie et l’Equateur, en revanche, n’ont pas encore fabriqué de long métrage. Il y a en revanche des créations de séries TV et de courts métrages, souvent soutenues par des fonds locaux (limités).
La région reste très clairement sous influence américaine. La plupart des séries diffusées sur les chaînes nationales sont américaines ou asiatiques. Les européens sont très peu présents. C’est aussi à nous de montrer qu’il y a une production européenne, et française, qui existe !
Il faut aussi savoir que les contenus andins en animation circulent assez peu entre les pays de la zone géographique. Cela s’explique notamment par le fait que compte-tenu du manque de financement, les séries produites localement ne comptent que très peu d’épisodes. Par exemple, en Colombie, le fonds principal qui finance la série animée participe au mieux à la production de 6 épisodes.
Au niveau de la formation, la structuration est également très différente selon les pays. Là encore, la Colombie est la plus avancée avec environ 5 formations dédiées à l’animation. Il existe également des formations plus générales, en création numérique, qui vont aborder l’animation.
C’est un peu la même chose dans les autres pays : il y a quelques écoles qui proposent des cursus exclusivement spécialisés en animation mais elles sont vraiment très peu nombreuses.
6) Quels sont vos projets avant de quitter Bogota ?
Il y a encore beaucoup de choses à développer, toujours dans le cadre du projet « Autre Regard ». Par exemple un « Campus Réalisatrice » que nous organisons à Medellin en mars 2025. Nous serons présents en juin à Annecy pour présenter, entre autres activités, notre projet avec le RECA au MIFA Campus. En juillet, nous serons au BAM. Nous continuons l’accompagnement des projets pilotes d’éducation à l’image. Comme évoqué, 2026 devrait voir les 1ers résultats de co-création entre les écoles andines et celles du RECA. Une 2ème étape pourrait suivre avec l’accompagnement d’écoles dans leur stratégie pédagogique.
D’un point de vue plus personnel, ma mission ici s’achève donc en septembre 2026. Mais j’espère laisser des pistes à mon successeur pour prendre le relais de tous ces projets. Je sais que la Colombie a très envie de continuer d’accompagner le secteur de l’animation mais aussi du jeu vidéo.
Contact : Arnaud Miquel – E-mail : arnaud.miquel@diplomatie.gouv.fr