Bien connu des membres du RECA pour en avoir dirigé 2 écoles, Joan Da Silva est désormais Conseiller Stratégie pour Unreal Engine, le logiciel open-source temps réel d’Epic Games, plus particulièrement en charge des sujets « éducation ». Ceci inclut bien évidemment les relations avec les écoles mais aussi l’éducation au temps réel des personnels des studios et des institutions.
Il évoque pour e-RECA les enjeux de cette technologie et la stratégie de l’éditeur, qui est aussi, pour mémoire, celui du célébrissime jeu Fortnite.
1/ Comment pourriez-vous définir « simplement » le temps réel ?
Les outils temps réel, pour en donner une définition générale, permettent de visualiser ce qui est créé en même temps que cela se crée ! Plus spécifiquement, en animation, le temps réel permet de voir instantanément une image quasiment finale. Contrairement à la chaîne traditionnelle de fabrication où l’on part d’une présentation du projet la plus simple possible, des dessins dans un story board, pour arriver très progressivement à l’image finale. Ce qui, en 3D « traditionnelle », pouvait parfois prendre des heures.
Le temps réel permet surtout de pouvoir interagir avec cette image de qualité finale. C’est -à-dire de pouvoir instantanément déplacer la caméra, déplacer la lumière, modifier les animations… Tout le monde peut voir le résultat qui s’approche du résultat final.
La technologie du temps réel vient du jeu vidéo pour lequel l’interaction doit être immédiate : un joueur n’attendrait pas des heures que son image apparaisse ! Cette technique est aujourd’hui utilisée dans tous les secteurs créatifs : le design, l’architecture… En animation, on l’utilise dans le cinéma purement d’animation mais aussi dans le cinéma traditionnel pour les effets spéciaux. Dans ce dernier cas, on a par exemple vu apparaître des murs de led qui remplacent les anciens fonds verts dans lesquels on projette directement les images en 3D en temps réel. Cela permet au réalisateur, quand il déplace sa caméra, de voir les modifications de perspective. Les acteurs peuvent être inclus dans ce dispositif et voir le décor dans lequel ils sont en train de jouer. Le dispositif peut aussi être intégré dans l’écran de contrôle de la caméra ce qui permet au réalisateur de voir son image finale.
2/ Quels sont selon vous les principaux enjeux du temps réel ?
Pour l’instant le marché est plutôt celui de la 3D mais comme il s’agit de nouveaux outils, ceux-ci pourront ouvrir de nouveaux usages qui vont amener des nouvelles écritures, des nouvelles directions artistiques.
Le 1er enjeu est une économie de temps puisqu’on n’a pas besoin de passer autant de temps à faire du rendu. Et économiser du temps, c’est économiser de l’argent ! Cela permet aussi de réduire l’impact carbone du cinéma d’animation 3D en passant moins de temps à faire tourner des fermes de rendu qui souvent sont implantées dans des pays qui n’utilisent pas que des éoliennes !….
De mon point de vue, ce n’est là qu’une toute petite partie du changement. La partie la plus intéressante que permet le temps réel est de voir et tester très rapidement des idées, de faire collaborer les gens ensemble. C’est pour moi le point le plus important aujourd’hui ! Les différents départements vont travailler ensemble très tôt contrairement à un pipe traditionnel où les métiers arrivent les uns après les autres. Et cela devient aussi un outil très efficace pour convaincre : plutôt que d’arriver avec un pitch, un story board ou une animatique, on peut directement présenter une version de film très proche d’une version finale ce qui peut aider à convaincre un producteur ou un financeur. Ou un superviseur dans une école !
En termes de créativité, cela permet de tester des choses que l’on se serait interdites – surtout pour le cinéma en images réelles. On peut par exemple tester des décors sans avoir à se déplacer aux 4 coins du monde… Il n’y a plus d’autocensure !
Si la préproduction virtuelle peut être plus chère avec le temps réel – précisément parce que plus de personnes travaillent au même moment et que plus d’options peuvent être testées, le coût total d’une production sera moins élevé. Dans les chiffres qu’avancent notamment les séries américaines, on parle d’une économie de 30 à 50% du budget !
La plupart des studios qui avaient opté pour le temps réel pour des raisons d’économies de temps et d’argent se rendent compte aujourd’hui que cela change aussi beaucoup de choses au niveau de la créativité et de la motivation de leurs équipes.
Les animateurs d’un studio français par exemple me parlaient récemment de leur satisfaction à animer dans image finale et non plus sur un fond gris avec des cubes en filaire un peu partout à la place des décors. C’est beaucoup plus facile pour eux de se projeter ! Cela valorise aussi leur travail. Alors que la nature même de leur métier n’a pas changé ! Les effets dans ce cas ne se mesurent pas en termes d’argent mais de satisfaction personnelle.
3/ Quelles sont les raisons qui empêchent aujourd’hui au temps réel de véritablement se développer ?
Il y a 3 freins principaux.
Le 1er : trouver les talents formés au temps réel. De nombreux studios envisagent de lancer des productions en temps réel mais rencontrent des difficultés à recruter des gens formés à ces technologies.
Le 2ème est que pour les studios, cela constitue une prise de risques. La plupart ont déjà des pipelines éprouvés depuis longtemps qu’il faut donc changer, ce qui implique des investissements.
Le 3ème frein est « indirect » : comme souvent dans la technologie aujourd’hui, il y a de gros problèmes d’approvisionnements en matériel graphique. Il est actuellement très difficile voire impossible de trouver des ordinateurs avec des cartes graphiques suffisamment puissantes pour le temps réel. Il ne s’agit pas uniquement d’une conséquence de la pandémie mais aussi des effets de l’usage des Bitcoins ! … dont le système de sécurisation nécessite à l’échelle mondiale des calculs complexes réalisables avec les cartes graphiques utilisées pour le temps réel. Ce détournement d’utilisation a entraîné une inflation et une pénurie au niveau de l’achat de matériel.
4/ La formation est un enjeu primordial pour Unreal Engine qui à ce titre a notamment soutenu la dernière édition des Journées du RECA. Quelles autres actions mettez-vous en place ?
Pour la formation, nous avons différentes écoles, dont plusieurs membres du RECA, qui sont des partenaires académiques d’Unreal Engine ainsi que des centres de formations certifiés qui assurent la formation professionnelle et qui sont le point d’entrée pour les studios. A côté de cela, et c’est notre axe stratégique principal, Epic met en place des actions de formation à destination des formateurs, baptisées « educator summit ». Il s’agit de former des formateurs. L’objectif est de proposer chaque trimestre une formation de ce type sur des sujets différents, en mettant à disposition du contenu, des supports de cours et des moments d’échanges avec nous.
Cet été, nous proposerons de nouveau The Summer of Unreal, une formation également gratuite de 4 ou 5 semaines, accessible aussi bien aux professionnels qu’aux étudiants, plutôt en fin de cursus. Nous espérons que les écoles du RECA pourront communiquer cette information auprès de leurs étudiants.
Avec la gratuité du modèle Unreal, l’idée est que plus l’outil est accessible, et plus des gens créatifs pourront imaginer des expériences donnant envie à tous de s’en emparer.
5/ La France constitue-t-elle un marché « particulier » pour Unreal Engine ?
Concernant l’animation, la France est effectivement une priorité pour Epic. Pour le dynamisme et la synergie entre ses écoles, ses studios et ses institutions qui sont perçus comme un écosystème particulièrement vertueux qui s’est approprié très tôt les opportunités offertes par le temps réel et les technologies du jeu vidéo.
6/ Vous serez présent à Annecy ?
Oui bien sûr ! Nous y organiserons notamment un événement spécifique pour les décideurs des studios au cours duquel Epic présentera l’état de l’art de l’animation aujourd’hui.
Nous avons également un stand sur le MIFA sur lequel nous proposerons des démos avec des invités. Et le jeudi, nous organisons une table ronde avec différents réalisateurs et auteurs.
7/ Pour conclure, avez-vous un message particulier à adresser aux écoles du RECA ?
Je suis en relation avec quasiment toutes les écoles du réseau. J’espère qu’elles viendront nous voir à Annecy et que leurs étudiants participeront à nos formations.
Je dois souligner que toutes les personnes en lien avec l’animation chez Epic sont très intéressées par le RECA, son organisation, ses activités… C’est notamment pour cela que Unreal Engine a soutenu les Journées du RECA. Epic rêve qu’il y ait le même genre de structure ailleurs dans le monde ! Ce qui force aussi l’admiration, c’est le niveau des écoles françaises, le fait qu’elles travaillent ensemble et que cette organisation en réseau ne soit dépendante d’aucune organisation professionnelle.
Contact : Joan Da Silva – Unreal Engine – www.unrealengine.com/en-US/educators