Lors des dernières Journées du RECA, l’un des sujets de conférence – choisi par les étudiants eux-mêmes – concernait la composition musicale pour l’animation (voir e-RECA n°67 & 68). 3 artistes étaient venus raco
nter leurs expériences et répondre aux très nombreuses questions du public.
e-RECA a souhaité prolonger ces échanges avec le compositeur Cyrille Marchesseau qui depuis plusieurs années crée l’univers musical et sonore de nombreuses œuvres, principalement d’animation.
1) Pouvez-vous nous résumer votre parcours (y compris vos études) ?
J’ai commencé l’étude du piano classique à 9 ans. Tout tournait pour moi autour de la musique. A l’époque, je m’amusais à retranscrire tout ce que j’entendais. A 11 ans, je composais des petites mélodies. Rien de mémorable mais déjà, j’avais ce besoin de créer. Très vite, j’ai été attiré par le jazz – un terrain de jeu formidable pour l’improvisation. Et j’ai donc joué dans différents groupes et formations à Paris. En parallèle, j’avais également la musique de film qui résonnait en moi… C’était l’époque des grands compositeurs tels que Ennio Morricone, John Williams ou encore John Barry.
J’ai étudié la musicologie à l’université et dans le même temps intégré une école d’ingénieurs du son à la sortie de laquelle j’ai travaillé en tant que sound designer sur des films importants comme Astérix Mission Cléopâtre, Les Choristes, Le Peuple Migrateur… Mais même si j’y côtoyais de très grands compositeurs, ce métier m’éloignait de la musique et surtout de la composition.
Il a fallu un déménagement, en 2006, de Paris à Bordeaux pour me décider à ne plus faire que de la musique ! Comme j’étais depuis longtemps passionné également par l’image, je me suis dirigé vers la création de musique de films. J’avais entre temps appris l’orchestration, le contrepoint… Tout ce qu’il faut savoir pour exercer ce métier. J’ai publié des démos sur internet… et tout s’est enchainé !
2) Composer pour des œuvres d’animation, est-ce un choix ? Une opportunité ?
Pour être sincère, je n’avais pas au début un attrait particulier pour l’animation, j’ai commencé sur des courts-métrages dramatiques. C’est arrivé un peu par hasard. Un ancien collègue m’avait proposé de créer la musique d’un teaser animé qui devait promouvoir un livre d’illustration haut de gamme de Kevin Dart, artiste américain très connu dans le milieu de l’animation. Contre toute attente, ce teaser, fabriqué à 3 avec très peu de moyens, a connu un très gros succès ! J’ai été ensuite approché par des étudiants de Supinfocom Rubika pour la musique de leur film de fin d’études et pour celle du teaser qui l’accompagnait. Au lendemain de sa mise en ligne, j’ai été contacté par Gaumont Alphanim qui souhaitait me tester sur une série. Les compositeurs sont très souvent sélectionnés sur concours. J’ai gagné celui organisé par Gaumont. J’ai travaillé ensuite sur plusieurs de leurs séries. Cela m’a ouvert les portes de Dreamworks pour qui j’ai travaillé pendant 4 ans. J’ai travaillé dans différents pays pour de nombreuses publicités (animées), des unitaires et des longs métrages.
L’animation représente environ 90% de mon activité. C’est un vrai plaisir : ce secteur est vraiment très fun !
3) Quelles sont selon vous les particularités d’une musique pour l’animation ? Il y a-t-il des “règles” à respecter ?
Je parlerais plutôt de « savoir-faire ». De codes à maîtriser selon les formats (unitaire, série, long) et dans l’instrumentation. Pour donner du piquant ou de la malice à une scène, on va utiliser des pizzicati aux violons. Pour donner de la puissance, on va privilégier les percussions, les cuivres et les basses. Il y a aussi des références communes qui sont très importantes. On peut faire des « emprunts » à des œuvres connues, en clin d’œil… avant de repartir sur autre chose. En animation, nous avons cette liberté qui permet d’installer une ambiance pour la casser totalement dans le plan suivant. C’est très enthousiasmant ! On part sur quelque chose de très sérieux. Un gag arrive. Et là on change complètement de direction avec un air de banjo… Ca ne pourrait pas se faire en fiction.
Pour les séries d’animation, il faut par ailleurs savoir être très pragmatique. La temporalité est primordiale. Le temps de production étant très tendu, il faut être efficace tout de suite. Et comme la musique a évolué en même temps que les outils, les producteurs savent que l’on est désormais en capacité de produire dans nos propres studios, avec moins de musiciens, et en moins de temps. Ils vont donc nous demander de travailler plus vite ! A nous de lutter contre cela.
Ce qui différencie aussi beaucoup la musique pour l’animation, c’est son rôle ! Elle n’est pas seulement illustrative mais peut avoir un rôle narratif très fort, surtout dans les œuvres non dialoguées. J’aime ce côté « story telling musical ».
C’est ce que j’aime aussi dans la VR, un domaine pour lequel je travaille beaucoup en ce moment. C’est pour moi un terrain de jeu expérimental assez incroyable ! Tout est à créer. La seule limite est l’imagination.
4) A quel moment êtes-vous contacté ? Et par qui ?
Dans 99% des cas, le compositeur est contacté au dernier moment ! Une fois que tout est monté. En travaillant pour Dreamworks, j’avais pensé que j’allais pouvoir travailler plus en amont, anticiper… Pas du tout ! En réalité, plus la production est importante, et plus tard on arrive ! Mais on s’habitue et on apprend à s’adapter au rythme de l’œuvre.
Le seul domaine où je suis contacté tôt, c’est justement en VR. Et c’est aussi le seul domaine où c’est le réalisateur qui va me contacter, alors qu’en animation c’est plus souvent le producteur.
En VR, le réalisateur sait qu’il faut s’appuyer sur la musique pour la narration. Le travail doit donc se faire obligatoirement en amont.
5) Comment s’organise le travail avec le reste de l’équipe ? Le réalisateur ? Le producteur ?
De nouveau, plus la production est importante, moins on a de contacts avec l’équipe car tout y est cloisonné ! A l’inverse, dans une petite production, on peut assister à la création, y compris graphique. Mais finalement, ce n’est pas si important d’être présent à toutes les étapes.
Habituellement, c’est le producteur qui au départ nous met en relation avec le réalisateur. Ensuite, si le courant passe, le travail artistique se fait avec celui-ci. C’est un vrai travail « de couple ». Dans lequel il faut être productif et réactif. Il faut vraiment bien s’entendre.
Il m’est arrivé de passer des entretiens avec des réalisateurs avec qui je sentais qu’on n’avait pas la même vision des choses… Mieux vaut dans ce cas ne pas travailler ensemble !
6) Avez-vous des formats de prédilection (court, long, série) ? La création est-elle différente en fonction du format ?
Personnellement, tous les formats m’intéressent ! Ce qui me motive c’est le story telling. S’il est adapté au format (et une bonne histoire peut tout à fait tenir sur un format court !), c’est absolument magique.
Le temps de création est très variable. Mais on n’a généralement que très peu de temps. Même pour un long ! On peut n’avoir que quelques jours pour fournir une maquette.
La façon d’aborder la création est la même au départ quel que soit le format. L’enjeu est de trouver ce qui va fonctionner. Le format en revanche va influencer la façon de travailler. Pour une série, le rythme de production est tellement rapide qu’il faut être efficace tout de suite. On n’a pas le temps de tester 50 morceaux sur une scène. Il faut être pragmatique. D’où l’importance de définir une bible « musicale », à côté de la bible littéraire ou graphique. On va jouer sur la réutilisation de mesures. C’est indispensable, encore plus pour un public jeune qui a besoin de repère.
7) Quelles sont vos principales sources d’inspiration quand vous composez pour une oeuvre ?
Je compose au piano… Avec à portée de regard un écran qui diffuse les images pour lesquelles je dois créer une musique. J’essaie de trouver leurs couleurs. C’est important de bien sentir l’image. De comprendre ce qui va marcher. La musique est un langage qui apporte une émotion immédiate. Mon métier c’est de trouver la bonne émotion. Ou au moins l’émotion que le réalisateur souhaite faire passer. Je dois comprendre le réalisateur. Savoir traduire ses envies en musique. Cela demand e beaucoup d’échanges. Il faut avoir une sorte de désir mutuel.
Mon inspiration et ma sensibilité musicale sont liées à mon enfance. C’est une période où l’on est curieux de tout. On apprend. On absorbe comme des éponges. Je reviens toujours à ce qui me faisait plaisir enfant. J’ai même pensé que l’amour que j’ai pour le jazz ou le classique pouvait venir de La Panthère Rose et des Schtroumpfs ! Comme mon amour de la mélodie et des gros orchestres vient sans nul doute de John Williams dans les années 80 ou 90 !
C’est aussi pour cela que la musique d’animation pour moi est si importante. Et que je me sens même une vraie responsabilité envers son public, souvent jeune !
Des musiques temporaires* sont de plus en plus utilisées, par les réalisateurs et même par les étudiants. Personnellement, je n’aime pas du tout ! Elles peuvent avoir un effet castrateur. Je préfère travailler à partir du ressenti du réalisateur. Comprendre et traduire ses attentes. C’est plus riche que d’avoir une référence vraiment précise.
8) Auriez-vous un rêve particulier de création musicale ? Une personne avec laquelle vous aimeriez travailler ? Ou un style de film à traiter ?
J’ai travaillé avec Arnold de Parscau sur son film Une Barque sur l’Océan dont la sortie a été totalement gâché par la pandémie. Nous avions vraiment donné beaucoup pour ce film. Et j’ai l’impression d’être passé à côté de quelque chose. J’ai donc hâte de retrouver ce réalisateur pour de nouvelles aventures.
J’adorerais aussi travailler sur un thriller… ou un nouveau drame intimiste. Histoire de casser l’image plutôt cartoon que j’ai en France… Et que je n’ai pas par exemple aux Etats Unis où je travaille d’abord, en VR, pour de la musique émotionnelle. J’ai parfois l’impression d’avoir 2 personnalités. J’aimerais bien faire quelque chose en France qui relie les 2. Et qui soit proche de ce que j’aime au plus profond. Mais si on me propose un long métrage d’animation cartoon : je ne dirai pas non ! Car le travail sur un long reste un énorme plaisir.
9) Quels sont vos projets ?
En animation, j’ai 3 films en réalité virtuelle qui viennent de débuter. Du narratif. Loin du cartoon, destinés à un public adulte. Je travaille aussi sur un jeu. Et puis je reprends la saison 2 d’Idéfix normalement en juin. Si tout se passe bien, j’ai aussi une nouvelle série pré-school qui devrait arriver en fin d’année.
Parallèlement, je travaille sur un spectacle de danse immersif dont la 1ère est à Chaillot en mai, tiré d’un livre de Jean Teulé « Entrez dans la Danse ». La musique est liée à la danse macabre de Camille Saint Saens. Un projet hybride qui mélange le classique et l’électro.
En live action, j’ai fait un short test à Los Angeles pour la version courte d’un film de science-fiction qui doit servir à montrer l’ambiance de la version longue. Le 1er retour est plutôt positif mais je dois retravailler certains aspects. Planning donc bien rempli côté composition. Mais je crois que je me demanderai toujours si je n’aurais pas dû persister dans le jazz. J’y reviendrai peut-être un jour. Quand je serai trop vieux pour les dessins animés et qu’on ne m’appellera plus pour ça !
Contact : Cyrille Marchesseau – Bordeaux – E-mail : contact@cyrillemarchesseau.com – Site web : www.cyrillemarchesseau.com