Le 12 octobre dernier, dans le cadre des Assises du Stage organisées par le RECA au CNC, Lucile Boileau présentait une partie des conclusions de son étude sur l’intégration des juniors dans le secteur de l’animation. Elle participera dans quelques jours aux Rencontres Animation Formation (RAF) à Angoulême pour y exposer, avec Fahim Boukhelifa (LISAA / RECA) et Sophie Lagoutte (TNZPV), différentes propositions pour résoudre l’épineux problème de la recherche de stages pour les étudiants.
Mais avant cela, Lucile Boileau a accepté de répondre aux questions d’e-RECA.
1) Pour commencer, pouvez-vous nous raconter votre parcours étudiant et professionnel ?
Je viens d’une famille d’ « artistes ». J’ai donc baigné très tôt dans ce milieu et une carrière artistique était pour moi tout à fait envisageable, voire plutôt dans la norme familiale. Mais ce qui m’intéressait surtout, c’était le côté technique, les personnes que l’on ne voit pas mais qui sont essentielles à un spectacle ou une création. J’ai donc suivi à Bayonne, un BTS audiovisuel « techniques d’ingénierie et exploitation des équipements ». J’ai adoré les stages que j’ai pu faire au cours de ce cursus, notamment en car-régie sur des événements sportifs. Mais la réforme LMD (ndlr : Licence / Master / Doctorat) venait d’être mise en place et j‘ai eu peur que mon diplôme (en 2 ans) ne soit pas vraiment reconnu. J’ai donc décidé de faire une licence pour sécuriser mon parcours. C’est un peu par hasard que j’ai découvert la licence de gestion de production créée depuis 2 ou 3 ans seulement aux Gobelins. Cette licence se fait en alternance école et entreprise. A l’époque je m’intéressais surtout au documentaire mais ne sachant pas comment trouver une entreprise, j’ai contacté dans l’ordre alphabétique les entreprise suggérées par l’école. J’ai été prise chez Alphanim et j’ai arrêté là mes recherches ! J’ai commencé, en tant qu’assistante de production, 3 mois avant le début des cours. Je me souviens de mon premier jour au studio : ils m’ont demandé de photocopier les ‘’props’’… je ne savais même pas ce que c’était !
J’ai tout de suite adoré le monde de l’animation. Comme en plus d’être assistante de production, j’assistais le monteur, j’ai validé, en parallèle de la licence, un BTS montage.
Je suis finalement restée 8 ans chez Alphanim. D’assistante, j’ai fini directrice de production. Après quoi j’ai été embauchée par Studio 100 Animation, où j’ai monté le pôle « artwork » qui faisait le lien entre la production et le marketing. Nous embauchions beaucoup de graphistes juniors et d’apprentis dans ce service. Je le voyais comme un service « tremplin » vers les prods. C’est à ce poste que j’ai découvert que j’aimais vraiment transmettre et accompagner. Je n’ai donc pas hésité quand l’Instistut Artline m’a proposé un poste de responsable pédagogique. J’ai été amenée, au sein de cette école, à mettre en place le CQP ETCN (ndlr : Expert Technique en Création Numérique, aka TD) de la CPNEF. Cela a été extrêmement formateur. Je me suis aperçue que j’aimais me pencher sur ces questions de fonctionnement des écoles, de législation, d’innovation pédagogique de formations continues…
C’est ce constat et la sensation que j’avais encore beaucoup de chose à apprendre qui m’a poussée à reprendre des études en master 2 « Pratiques et Ingénierie de Formation » à l’UPEC (ndlr : Université Paris Est Créteil) que je viens juste de terminer.
2) Pourquoi avoir choisi le thème de l’intégration des Juniors dans l’animation comme sujet d’étude ? Aviez-vous un cadre particulier à respecter ?
Le master se compose d’un projet tutoré à réaliser en groupe et d’un mémoire, personnel, de fin d’études. Le projet tutoré ressemble à ce que pourrait être le travail d’un cabinet de consultants pour répondre à un problème rencontré par une entreprise. Nous devions vraiment réfléchir à l’analyse des besoins, des statistiques. Nous avons décidé de faire une études qualitative basée sur des entretiens.
Par ailleurs, ce master de l’UPEC se prépare obligatoirement en formation continue. Il fallait donc trouver une entreprise. Supamonks, qui accorde à la question de la formation une très grande importance, a accepté de me prendre en contrat pro, sur un poste de Responsable de Formation.
Dans les studios, et donc également chez Supamonks, le constat général est qu’il est difficile d’embaucher des séniors car ils sont peu nombreux et souvent déjà en poste. Nous avons transformé ce problème en « comment accélérer la montée en expérience et compétence des nouveaux entrants ? ».
3) Quels éléments vous ont le plus marquée au cours de votre étude ?
Un des principe de la formation du master repose sur « l’étonnement », c’est-à-dire essayer de regarder notre quotidien différemment.
Dans l’animation, je ne m’étais jamais vraiment étonnée de la jeunesse des équipes. J’étais habituée. Or, statistiquement, 50% des personnes quittent l’animation au bout de 5 ans. C’est étonnant ! Car le domaine est plutôt sympathique. Les personnes ont l’air heureux d’y travailler. Et pourtant…
Parallèlement, il y a de plus en plus de femmes qui intègrent ce secteur. Et je m’en réjouis à titre personnel. Mais si on regarde le data lab Audiens, on voit que beaucoup partent autour de 30 ans… Nos métiers sont-ils à ce point incompatibles avec une vie de famille ? On retrouve le même schéma de départ chez les hommes, mais il a lieu un peu plus tard.
Dans mon mémoire où j’étudie les carrières longues des animateurs (Construire une carrière dans un milieu professionnel marqué par la discontinuité des trajectoires : Le cas des animateurs et animatrices 3d), j’ai constaté que les personnes qui restent dans le secteur ont mis en place des stratégies de sécurisation de leur emploi très forte : ils développent et entretiennent leur réseau, anticipent et se tiennent au courant des productions à venir… Or je pense que tous les artistes ne sont pas spécialement ‘’câblés’’ pour ça.
Le régime de l’intermittence est intrinsèquement usant. Il peut être difficile de refuser un job de peur de ne plus en avoir après. Certains rognent sur leurs vacances pour les mêmes raisons. Ils sont très dépendants des aléas du secteur (il n’y a qu’à voir l’état actuel des emplois) . Ils doivent aussi, à chaque nouvelle mission, négocier leur salaire, recréer des liens avec des nouvelles équipes et accepter des débordements horaires.
On peut imaginer qu’à 30 ou 40 ans, on aspire à une vie plus sereine.
4) Quelles seraient selon vous les solutions à ces principaux problèmes ?
Je pense qu’il est difficile d’être « entrepreneur de sa carrière » (concept que l’on retrouve dans le travail de Menger ). Les écoles devraient travailler sur ce sujet, même si je crains qu’elles soient un peu frileuses pour aborder aussi frontalement la question de la difficulté du maintien dans l’emploi. A leur décharge, il est vrai que tant que les étudiants ne sont pas confrontés à certaines situations, ils sont assez peu réceptifs. Il faudrait peut-être mettre en place, à la sortie du diplôme, une période de suivi pendant laquelle serait abordé ce genre de questions.
On pourrait aussi questionner le mode de fonctionnement du secteur. En employant des personnes « au projet », les entreprises se désengagent complètement du suivi de carrières de leurs employés, à tel point qu’à l’échelle des entreprises, on ne s’aperçoit pas des départs massifs du secteur. De la même façon, le bien-être au travail n’est pas vraiment pensé. Comme les personne tournent beaucoup dans les entreprises, il prend souvent la forme de soirée et de table de ping pong dans les locaux. Certains studios essaient de trouver des solutions plus pérennes mais c’est compliqué !
Je pense que le principal objectif du secteur devrait être de stabiliser les séniors. Sinon on laisse s’installer un cercle vicieux : les séniors sont de moins en moins nombreux. On devient de fait sénior de plus en plus tôt. Avec de moins en moins d’expérience à transmettre aux juniors. Ceux-ci en conséquence ne progressent pas forcément selon les attentes. Ils n’ont pas un mauvais niveau. Ils manquent juste d’expérience !
Actuellement les séniors sont à la fois chefs d’équipe, managers (sans formation) et doivent travailler sur les prods… On ne peut pas être au four et au moulin ! Il faut libérer du temps aux séniors pour accompagner les juniors !
Les studios ont souvent pensé que pour garder des séniors, il fallait juste augmenter leur salaire. Or ils continuent de partir. Je crains d’ailleurs qu’avec la pénurie actuelle d’emplois, le phénomène s’accélère et qu’au moment de la reprise économique, nous ayons un problème d’emploi compétence.
L’accompagnement des séniors ne peut pas être faite à l’échelle d’une entreprise – le problème étant systémique. Cela devrait s’organiser via les syndicats professionnels (des représentant des producteur ET de salariés). Dans tous les cas, il faut une coordination à une échelle sectorielle.
Un autre point qui s’est révélé quand j’ai étudié les carrières des séniors qui restent, ce sont tous des séniors qui enseignent (ou qui sont passés par la case enseignement). Je crois vraiment que l’enseignement permet de rester dans le secteur et de donner un nouveau souffle, un nouveau sens à son travail. Cela apprend aussi à mieux manager. Les employeurs auraient à mon avis tout intérêt à faciliter les possibilités pour leurs séniors d’enseigner.
5) Comment préparer les jeunes à intégrer au mieux le monde de l’animation ?
Au-delà de les préparer, je pense qu’il faudrait les accompagner sur leurs premiers mois de sortie d’école pour qu’ils trouvent un travail. Je vois trop de CV qui ne sont ni faits ni à faire. Certains diplômés sont vraiment perdus à la sortie de l’école.
De nouvelles questions vont également se poser très rapidement avec l’arrivée de l’IA. La question de la compétitivité des personnes versus les machines. Je pense qu’il y aura toujours de la place pour la créativité. Les animateurs pourront difficilement être remplacés par l’IA parce qu’il y a une question d’intentionnalité dans le mouvement. En revanche, des postes en modélisation par exemple pourront disparaître.
Ce qui fera la différence, à mon avis, reste plus que jamais la culture générale. Ceux qui ne se nourrissent pas de spectacles, de cinéma, de livres, de peinture…. risquent de se faire dépasser par l’IA.
Contact : Lucile Boileau – www.linkedin.com/in/lucile-boileau-67384b43/