Nouveau partenaire du concours du RECA sur l’Egalité Femmes Hommes, Praxinos est une société coopérative créée en 2018 avec pour projet, d’amener des outils 2D dans Unreal Engine. Ainsi naissait en 2024 Odyssey, un logiciel qui allie les performances du temps-réel avec la spontanéité de la 2D. Rencontre avec Elodie Moog, cofondatrice de Praxinos.
1 ) Comment pourriez-vous définir “simplement” Odyssey ?
Notre logiciel Odyssey est une version alternative d’Unreal Engine, entièrement dédié à l’animation, qui permet, en plus de dessiner, de faire du story board, de l’animation en 2D, de peindre sur des objets 3D pour les rendre plus stylisés… C’est donc un logiciel d’animation hybride 2D/3D qui bénéficie des atouts du temps-réel. Il a été entièrement développé par Praxinos, une société coopérative basée dans l’Est de la France, créée fin 2018 par des spécialistes de logiciels 2D et qui compte aujourd’hui 7 salariés à temps plein, ainsi qu’une personne à temps partiel pour les traductions franco/japonaises.
2) Pourquoi avoir imaginé ce logiciel et quels en sont les principaux enjeux ?
Pour expliquer les enjeux, il faut revenir un peu en arrière ! Nous sommes plusieurs, chez Praxinos, à avoir travaillé pour TV Paint. A l’époque, au milieu des années 90, quand la 3D s’est « démocratisée », il y avait une espèce de « guerre » entre le monde de la 2D et celui de la 3D. Qui s’est estompée il y a environ 10 ans, avec cette tendance naissante de vouloir mélanger les 2, pour prendre le meilleur de chacune des 2 technologies. Cela se faisait de manière un peu timide. Et surtout sans véritable outil adapté. A mon sens, le 1er projet 2D/3D que j’ai eu la chance de suivre et qui m’a fait réaliser ce manque, c’est le clip Freak of the Week de Juanjo Guarnido, auteur de la bande-dessinée Blacksad mais aussi ancien animateur de Disney. L’idée du clip était d’avoir, un peu comme dans les années 2000, des caméras dynamiques qui bougent beaucoup, et, en même temps, un côté très graphique. Cela a été un vrai casse-tête technique pour réussir à avoir ce rendu.
C’est le souvenir de ce projet qui nous a amenés à vouloir développer des outils dédiés, à destination prioritairement des artistes 2D mais qui intègrent également des techniques 3D. Des gens d’Epic Games, rencontrés à ce moment-là, nous ont parlé d’Unreal Engine, un moteur 3D basé sur une technologie temps-réel utilisée pour le jeu vidéo. Il nous a donc paru intéressant de réfléchir au-delà d’un simple mélange 2D/3D – que proposaient déjà Toon Boom ou Blender – et d’y ajouter la composante temps-réel. Cela pouvait permettre d’avoir des rendus immédiats quand on changeait la lumière, la position de la caméra… Des étapes très lourdes en 2D. Avec cette solution, on peut faire des premiers tests de compositing et vérifier le rendu dès la production, sans attendre la post-production. Le fonctionnement devient beaucoup plus collaboratif, voire itératif.
3) Pensez-vous qu’à terme la différenciation 2D/3D continuera d’exister ? Les projets hybrides vont-ils devenir “la règle” en animation ?
Je ne suis pas forcément convaincue que ce type de projets hybrides deviennent la règle. Je pense que Pixar continuera toujours à faire des films plutôt « photoréalistes toonesques ». De la même manière, nous aurons aussi encore très certainement des films produits entièrement en 2D.
En revanche l’hybridation deviendra un élément de différenciation majeur, surtout pour les gros studios. C’est ce qui permet d’inventer la « patte » d’un studio. Aujourd’hui, on reconnait tout de suite un film Sony Pictures Animation ou un épisode de la série Arcane de Fortiche. Alors qu’ à une certaine époque, toutes les productions 3D se ressemblaient. On ne savait plus qui avait produit quoi !
L’hybridation permet d’avoir des rendus complètement différents.
D’un point de vue purement marketing, la différenciation 2D/3D ne se fait déjà plus. Je ne suis même pas sûre que le grand public fasse vraiment la différence ! Dans nos industries en revanche, elle continuera d’exister. Je crois que malgré la porosité des techniques, les savoirs et les compétences vont rester distincts. Et complémentaires !
Au niveau de l’emploi, je pense qu’on demandera aux talents d’être de plus en plus polyvalents. Tout en étant très spécialisés dans certains domaines ! Les métiers resteront ce qu’ils sont. Mais les jeunes, plus que leurs ainés, devront savoir occuper plusieurs postes. Des nouveaux métiers liés à l’interopérabilité entre les différents logiciels vont également sans doute émerger
4) Quel a été (ou est encore) le principal frein au développement d’Odyssey ?
Le premier frein que nous avons eu à affronter est la prise en main d’Unreal Engine. Le logiciel existait depuis longtemps. Il a beaucoup évolué. Il a fallu tâtonner… Mais il faut dire qu’Epic Game nous a vraiment aidés. Techniquement et financièrement !
Car l’aspect financier reste également un frein. Il faut dire que Praxinos, dès le départ, cumulait les difficultés : être une SCOP ET une start-up ! C’est-à-dire une société qui démarre, qui développe des produits qu’elle espère un jour commercialiser… et dont le capital est ouvert, faisant appel à des investisseurs qui peuvent prendre part aux décisions… Ce qui est clairement en contradiction avec l’objet d’une SCOP, dont le capital appartient majoritairement à ses employés. Le CNC heureusement nous a également soutenus dans le cadre de leur aide aux innovations techniques. Ainsi que quelques autres fonds publics, régionaux et nationaux.
Mais du point de vue financier, c’est aujourd’hui clairement la crise que traverse le secteur de l’animation qui ralentit notre développement. Les studios n’osent plus prendre de risques avec des nouvelles technologies.
5) Praxinos soutient la 3ème édition du concours RECA pour l’égalité Femmes Hommes. Quelles ont été vos principales motivations et quelle forme prendra ce partenariat ?
Nous nous sentions vraiment concernés par le sujet. Les femmes comme les hommes peuvent vivre des injustices et des pressions sociales. C’est important de mettre en lumière les souffrances des uns ou des autres. L’an dernier nous étions déjà des « partenaires de l’ombre » puisque grâce à Joan Da Silva (Epic Games) et Ekkarat Rodthong (IIM, école de la lauréate 2024, Margot Wolff) nous avions eu l’opportunité de suivre Margot sur son projet. Et cet exercice a vraiment été très concluant. C’est ce qui nous a donné l’envie de renouveler l’expérience de manière plus « officielle ».
Nous offrirons au lauréat ou à la lauréate une licence Odyssey pour la durée de son projet. Nous l’aiderons bien évidemment à la prise en main de l’outil en amont de la production. Puis, tout au long de la fabrication du film, nous assurerons un support technique à la demande, selon les disponibilités et les besoins du jeune talent.
6) Pour conclure, avez-vous un message particulier à adresser aux écoles du RECA et à leurs étudiants ?
J’aimerais dire aux étudiants : « osez sortir des sentiers battus ! ». Le film de fin d’année est pour eux quasiment le seul moment où ils sont les seuls maîtres à bord. Il faut en profiter et se faire plaisir. Une fois sur le marché du travail, ce sera plus compliqué. Il faudra obéir aux ordres. Et il se passera sans doute du temps avant qu’une telle liberté revienne.
Et puis aussi : « ne restez pas sur vos acquis ». Quand on sort de l’école, on a un peu l’impression que l’on sait tout. C’est rarement le cas ! On est seulement au début d’un parcours et il y a plein de choses à découvrir. Il faut continuer d’être curieux. Continuer d’apprendre. Se former aux nouvelles techniques. On a, pour l’instant encore, cette chance en France d’avoir ce statut d’intermittent du spectacle qui permet d’être indemnisé pendant les périodes de non-travail. Il faut mettre ces périodes à profit. La polyvalence, à mon sens, c’est la clé ! Il vaut mieux n’avoir même qu’un embryon de connaissances qui permettra d’aller plus loin que de ne rien avoir du tout.
C’est un message que j’adresserais aussi aux écoles : « offrez plus de diversité à vos étudiants ». Il y a encore trop d’écoles qui fonctionnent toujours avec les mêmes logiciels. Elles pourraient élargir le spectre, même sans aller au fond des choses. Par exemple sous forme d’atelier. Peut-être qu’un étudiant croyant n’aimer que la 2D se découvrirait une appétence pour la 3D. Ou la stop motion ! Former à la technicité de l’animation est une chose, mais offrir des opportunités technologiques en est une autre. Et pourrait faire naître d’autres vocations chez les étudiants. Il faut les aider à développer cette curiosité. Mieux vaut à mon sens qu’ils connaissent un maximum de softs même superficiellement : ce serait de toute façon normal pour un junior qui aura le temps d’aller plus en profondeur au cours de sa carrière. Plutôt que d’apprendre, même très bien, un seul logiciel.
Contact : Elodie Moog – Praxinos – E-mail : elodie.moog@praxinos.coop – Site web : https://praxinos.coop – Youtube : https://youtu.be/SBDcW_f-HXk